Une tradition qui subsiste à Cuenca
Le “Pase del Niño” (“Passage de l´Enfant”) est, sans aucun doute, une des manifestations de religiosité populaire les plus importantes du pays. Cette fête reflète, comme peu d´entre elles, la culture et les traditions d´un peuple qui exprime ses croyances par de multiples manifestations et formes de folklore. L´axe central de cette célébration est le culte de l´Enfant Jésus. Les cérémonies en l´honneur d´un Dieu naissant ont leurs origines les plus lointaines dans les cultures helléniques et romanes. Concrètement, le 25 décembre à Rome on célébrait la naissance du Soleil associé à l´image de César. Le christianisme s´imposant comme religion officielle de l´Empire Romain, cette date est restée en vigueur, célébrant la naissance du Christ. On sait qu´en Europe ce fût Saint François d´Assise qui célébra pour la première fois de manière ouverte la Nativité de Jésus, en recréant les faits avec des gens humbles de la campagne qui représentaient la Vierge Marie, Saint Joseph et l´Enfant Jésus. Bientôt encouragée par les franciscains, cette coutume s´est propagée dans tout le monde chrétien. Cet ordre religieux, entre autres, a diffusé depuis le temps de la colonisation dans notre pays le culte au petit Jésus, avec les neuvaines, les messes et le décor des crèches.
Tradition de Cuenca
Cuenca est l´endroit du pays où la tradition des crèches et le culte de l´Enfant Jésus pendant les fêtes de Noël ont le plus grand accueil. En plus, avec le temps, les familles de Cuenca ont rajouté des éléments propres à cette célébration. Les processions dont les participants, en plus grande partie des enfants, utilisent des costumes religieux et profanes, sont connues comme le « Pase del Niño », car leur centre est toujours l´image de Jésus enfant, généralement habillé avec des vêtements très élégants en soie, velours et des broderies avec des éléments argentés ou dorés. Ces défilés, dans lesquels participent massivement tous les habitants, sont organisés tous les ans dans la ville et les villages des alentours. Ils commencent le premier dimanche de l´avènement et finissent le mardi du carnaval. Tous les préparatifs se font longtemps à l´avance par des « priostes » et des « mantenedores ». Les premiers sont les personnes qui parrainent social et économiquement l´événement et sont choisies chaque année, conformément à des circonstances qui peuvent varier de village en village. Beaucoup d´entre eux le font de façon volontaire, tandis que d´autres sont désignés par le prioste antérieur ou par la communauté. Les mantenedores, en revanche, assument la responsabilité de tous les aspects liés au passage, et se chargent de faire perdurer la tradition, raison pour laquelle ils restent dans leur poste de longues périodes.
Passages majeurs et mineurs
Il y a deux types de Passages de l´Enfant : majeurs et mineurs. Les premiers ont un grand nombre de participants et ses processions rendent hommage à des images de l´Enfant Jésus qui appartiennent à des temples ou des communautés religieuses. Les passages mineurs ont moins de participants et, en général, un caractère familial. Un rituel très complexe précède les passages majeurs et mineurs, avec l´invitation et la veillée. L´invitation se fait plusieurs mois à l´avance et est dirigée autant aux gens de la campagne que de la ville. Tous les invités reçoivent, de la part du mantenedor, en guise de cadeau, un pain sucré connu sous le nom de « costra » et de la chicha. En l´acceptant on s´engage à participer au passage. Finalement, une nuit avant la messe, on fait la veillée : dans le cas des passages majeurs tous les participants « accompagnent » l´image de l´Enfant Jésus dans une église, ou bien dans la maison de la personne qui célèbre la fête dans le cas des passages mineurs. Lors des veillées dans les maisons il est normal que les invités amènent de l´eau de vie et de la nourriture, pour que tout le monde fête ensemble cet événement qui aboutira à l´aube avec une tasse de café, d´eau de cannelle ou de chocolat accompagné de pain.
Le Passage de l´Enfant Voyageur
Le passage le plus important est celui dédié à l´ « Enfant Voyageur », célébré chaque année le 24 décembre dans la ville de Cuenca. Ce nom vient d´une image de l´Enfant Jésus qui a été sculptée sous les ordres de madame Josefa Heredia en 1823. En 1961 son dernier propriétaire, Monseigneur Miguel Cordero Crespo, a fait un pèlerinage en Terre Sainte, accompagné de cette image que le Pape Jean XXIII a bénie à la fin du voyage. De retour à Cuenca, le peuple enthousiasmé a donné à cette fameuse sculpture le nom d´« Enfant Voyageur » et depuis on lui rend hommage en grande pompe lors de la fête de Noël, avec la grande procession ou « passage » qui commence généralement à 10h00 et finit environ à 15h00. La procession commence dans l´avenue Ordóñez Lasso et parcourt la rue Simón Bolívar dans le centre-ville. On y observe tous les éléments typiques de la célébration : d´innombrables et voyants chars allégoriques, des bandas populaires qui interprètent des chansons dédiées à l´Enfant, des ensembles de musique paysans, des enfants déguisés en personnages bibliques, des pasteurs, des gitans, des jivaros, des saraguros, des otavalos, et autres ethnies et mayorales. Ces derniers sont spécialement voyants et intéressants, car ils représentent les paysans des provinces de l´Azuay et Cañar qui avaient un grand pouvoir et prestige entre les travailleurs des haciendas. C´étaient généralement des hommes et des femmes de la campagne avec une très bonne position économique. Pour montrer la richesse, leurs costumes – stylisation des vêtements des cholos et cholas de la région – sont très voyants et élégants. Ils sont toujours à cheval : ceux-ci sont couverts de fines couvertures ou tissus en laine et soie et portent le « château » (ensemble d´aliments montés en forme de guirlandes avec des fruits, des légumes, des bonbons, des bouteilles d´alcool, des jouets, etc.). Les « châteaux » sont des offrandes à l´Enfant, couronnés par des plateaux avec des aliments cuisinés ; ils peuvent être placés sur les chevaux des mayorales, sur les chars allégoriques ou dans des corbeilles portées par les pasteurs. Les aliments les plus fréquents sont des pommes de terre cuites, des œufs durs, des piments et des animaux comme les cochons au four, les cuy (cochons d´Inde), les dindes, et les poulets à la braise, qui portent souvent des rubans et des billets dans leur groin ou bec. Après le passage il y a des fêtes chez les familles participantes. Suite au défilé elles rentrent chez elles et démontent avec précaution les châteaux. La nourriture de l´offrande est répartie entre les membres de la famille et ses invités, donnant lieu à un grand festin. Le Passage de l´Enfant à Cuenca est une manifestation religieuse populaire d´une grande richesse ethnographique et, malgré le temps et la présence continue d´éléments culturels étrangers, elle garde toute sa splendeur. C´est une fête qui ne répond pas uniquement à la simple foi des classes populaires, mais au désir de se distinguer et de valoriser des éléments culturels qui les caractérisent et enorgueillissent. Désormais l´image de l´Enfant Voyageur, héritage du père Miguel Cordero Crespo, est en possession des religieuses de Carmen de la Asunción. Elles en prennent soin et la gardent dans le couvent.
Personnages du Passage de l´Enfant
Les personnages du Passage de l´Enfant se divisent en civils et religieux.
Personnages religieux
L´Ange de l´Étoile
Ce personnage, qui ouvre le défilé, est vêtu d´une large tunique blanche qui couvre tout son corps. Sa tête est généralement ornée d´une couronne dorée avec un tulle blanc et sur son dos il a deux grandes ailes blanches en papier. Dans sa main droite il porte un bâton couvert de papier argenté avec au bout une étoile de la même couleur. Son rôle est de guider les Rois Mages et les Pasteurs à l´adoration de l´Enfant Jésus.
La Vierge
Elle est représentée par une petite fille. Sur sa tête elle porte une mantille espagnole ou en tulle et la tunique qui couvre son corps peut être blanche, bleu ciel ou rose avec une ceinture argentée ou dorée. Elle est toujours accompagnée de Saint Joseph et c´est la figure la plus importante des scènes bibliques représentées dans les chars allégoriques.
Saint Joseph
C´est un petit garçon vêtu d´une tunique marron et une cape verte dont le rôle est de toujours accompagner la Vierge dans les scènes bibliques qui requièrent sa présence. Il porte, en plus, une barbe et une longue chevelure artificielles couleur châtain.
Rois Mages
Ces personnages sont vêtus de pantalons en satin de couleurs brillantes et de tuniques qui leur arrivent aux genoux. Leurs capes sont en velours ou satin et sur leurs têtes ils portent toujours une couronne décorée avec des perles et des brillants artificiels, parfois remplacée par des turbans de différentes couleurs. En général ils ont une barbe, à l´exception du Roir Noir (Balthazar) dont le visage peut être peint avec de la suie et de la graisse. Les trois Rois Mages portent un sceptre et des coffres qui simulent les offrandes que les Rois ont amenées à l´Enfant Jésus. Ils sont toujours à cheval, et celui-ci est couvert d´élégantes tapisseries ou couvertures.
Saint Jean Batiste
Saint Jean Batiste est représenté par un enfant torse nu qui porte des peaux sur son épaule. Dans la main droite il a une croix et dans la gauche un licou avec un agneau blanc. Les enfants déguisés en Saint Jean Batiste sont en général accompagnés de leurs parents car ils sont très jeunes.
Personnages civils
Mayorales
Ils représentent les natifs de la province de Cañar avec un grand pouvoir et prestige entre les indigènes ou travailleurs d´une hacienda de la sierra, car ils étaient jadis chargés directement par les patrons pour contrôler le travail paysan. Les mayorales guident les autres pasteurs qui amènent les offrandes et portent le costume d´un habitant de la province de Cañar : pantalon noir en laine, espadrilles en fibres de cabuya avec des rubans rouges, chemise blanche avec des broderies en couleur au cou et poignets, poncho noir ou rouge en laine avec une ceinture tissée en couleurs fortes. Ils portent un chapeau blanc en laine frappée. La compagne du mayoral est la mayorala, avec ses cheveux attachés en tresses par des rubans rouges. Elle porte une jupe de couleurs très vives brodée en abondance dans son extrémité inférieure, sur une autre laine simple. Son dos est couvert par la « liglla » soutenue par le « tupilli » ou épingle en argent avec des pierres. Les mayorales sont sur des chevaux décorés en abondance avec des rubans de couleurs et des étoiles sur le front confectionnées avec des pièces en argent et du carton argenté et doré. L´échine de l´animal est couverte de tapisseries ou couvertures très élégantes et sur les flancs il porte un château avec une armature en carex décoré avec des fruits, des aliments et des décorations variées.
Les Cholas Cuencanas
Costumes typiques: un chapeau en paille toquilla; une blouse richement brodée ou « polca » ; une jupe en flanelle ou intérieure : en laine, sans broderies et avec des pattes dans le bord intérieur ; un tissu de la ville de Gualaceo : espèce de couverture tissée avec une frange nouée ou brodée.
Les Jivaros
Ces personnages représentent des indigènes de la région de l´Amazonie équatorienne. Ils portent des costumes typiques : des anacos (toiles portées à la ceinture) d´une seule couleur (généralement rouge), un sac sur leurs épaules, une lance en chonta à la main et sur leurs têtes des aigrettes en plumes colorées de perroquets ou autres oiseaux orientaux. Quand les jivaros marchent à pied et en groupe ils font une série de danses guerrières.
Les Saragureños
Ce sont des enfants qui représentent les natifs de la province de Loja, caractérisés par des habits noirs. Ils portent des grands chapeaux voyants en laine combinée en noir et blanc. Les filles sont parées de colliers en perles et de grandes boucles d´oreilles.
Les Noirs dansants
Personnages représentés par des enfants avec les corps peints en noir avec de la graisse et de la suie, avec les paupières et les lèvres d´un rouge vif. Les « noires dansantes » portent une jupe et une blouse de couleurs fortes qui contrastent, des turbans rouges, des colliers et de grandes boucles d´oreilles.
Autres personnages
Il existe en plus des représentations de personnages comme des gitanes, des majas espagnoles et des arabes. Entre les personnages religieux on trouve aussi des pasteurs et ceux qui conforment la cour du roi Hérode.
Termes liés au Passage de l´Enfant
LES ALBAZOS : pièces musicales de caractère populaire interprétées par des bandas de musiciens (ils parcourent à l´aube). L´ANGE DE L´ÉTOILE: Personnage important des passages de l´Enfant qui représente l´étoile qui a guidé les rois mages à Bethléem. L´ange de l´étoile ouvre toujours le défilé, il porte une étoile argentée et est habillé en blanc sur un cheval blanc. LA BANDA: Ensemble de musiciens qui interviennent dans toute fête religieuse célébrée en ville et à la campagne. Il y a des bandas bien organisées qui appartiennent à des associations ou à des sociétés artisanales qui prêtent leurs services à différentes processions célébrées en l´honneur de l´Enfant Jésus. LES BORLERAS: Ce sont les personnes qui, avec les pendoneros, seront les priostes (chargés) d´une fête religieuse l´année suivante. LE CHÂTEAU: Armature en carex ou en bandes de bois de 1,20m x 60cms approximativement et qui, couvert de nourriture, décorations et spécialement de fruits, est mis sur les flancs du cheval des mayorales, constituant le principal attrait de ces personnages. On appelle aussi châteaux les arrangements latéraux des chars allégoriques et les armatures en bois en forme pyramidale, pleins de pain, de fruits, de vêtements et d´une grande variété d´aliments amenés volontairement par les assistants à une célébration postérieure au passage ou une autre fête religieuse. LA CONTRE DANSE: Danse de figures avec plusieurs couples. LE COEUR: Groupe de priostes de l´Enfant Jésus qui se relayent pour veiller chez eux sur la sculpture de l´église ou d´un prioste. Ces veillées ont un rôle religieux, social et économique important. LES CUCHI PANES: Figures en pain de différentes formes et tailles pour décorer les châteaux des mayorales et les chars allégoriques. LE CHAGRILLO: Pétales de fleurs qui, de façon abondante, sont amenés par les enfants qui accompagnent le passage de l´Enfant. Le chagrillo est lancé sur l´image de l´Enfant pendant la procession au son de la musique de Noël. LE NOIR DANSANT: Petit garçon ou petite fille déguisé en personne de couleur, qui danse pendant le parcours du passage. LES PENDONEROS: Personnes qui ouvrent une procession avec un petit étendard et qui, avec les borleras, seront les priostes de la fête pour l´année suivante. LES TONS DE L´ENFANT: Désignation populaire en référence à chaque pièce musicale jouée en l´honneur de l´Enfant Jésus
